lundi, octobre 15, 2007

Terrorisme : le procès de la filière belge des kamikazes en Irak

Ce lundi (15/10/07), j'ai été suivre l'ouverture du procès, devant le tribunal correctionnel de Bruxelles, de 7 personnes poursuivies pour avoir pris part à une filière d'envoi de terroristes en Irak. C'est un dossier que je connais bien étant donné que j'avais travaillé comme fixeur pour le New York Times afin de relater le parcours de Muriel Degauque, 38 ans originaire de Monceau-sur-Sambre près de Charleroi, petite catholique sans histoire convertie à l'islamisme radical et qui ira se faire sauter contre un convoi américain à Baquba (Irak) le 09/11/05 devenant probablement la première kamikaze belge.

Aujourd'hui à Bruxelles, ce sont les membres présumés de ce réseau d'acheminement de candidats au suicide qui sont poursuivis à l'aide des documents à charge contenus dans 108 fardes bleues et 2 gros cartons relatant de manière minutieuse le modus operandi des recruteurs islamistes.

Bilal Soughir, principal prévenu dans ce dossier et le seul a être en détention préventive, a refusé de comparaître en déposant un certificat médical précisant qu'il ne peut effectuer de trajet de la prison de Saint-Gilles au Palais de justice en ayant les yeux bandés et la tête cagoulée. Son avocate a estimé que de telles conditions de sécurité ne s'imposent pas dans son cas mais que si son client refuse de comparaître demain, elle pourrait se retirer provoquant ainsi une condamnation par défaut. Considéré par le parquet comme l'homme clé du réseau de recrutement terroriste en Belgique, l'avocate de Bilal Soughir a précisé que son client "nie absolument tout car l'ensemble des faits est basé sur des interprétations sorties de leur contexte. Pour reprendre une phrase de Talleyrand : 'Donnez-moi 4 lignes des conversations d'un homme et je le ferai prendre'. Mon client respecte la religion, déteste la radicalisation et il s'expliquera sur une série de conversations interceptées par les services de police", explique l'avocate du principal prévenu.

Le président du tribunal s'est limité pour aujourd'hui à lire, pendant près de 4 heures, un résumé des devoirs d'enquête effectués par la Sûreté de l'Etat, les policiers et les magistrats essentiellement basés sur des écoutes téléphoniques, des conversations par courriels et chat, des messageries instantanées (MSN Messenger), des analyses de comptes bancaires et voyages à l'étranger. L'enquête belge démarre les 25 et 26/07/05 avec deux rapports de la Sûreté de l'Etat concernant respectivement Nabil Karmun (suspecté de liens avec les Frères musulmans salafistes) et la famille Soughir (Bilal, Souhaieb, Qotob) dont le père (Abid) était déjà connu des autorités belges pour entretenir des relations avec les services secrets libyens, Abid sera d'ailleurs expulsé de la Belgique en1992. Le rapport détaille ensuite les nombreux numéros de GSM, les conversations, les relations, les transferts d'argent qu'entretient le dénommé Bilal Soughir avec une série de personnages où il apparaît souvent comme le principal fournisseur de faux documents et d'intermédiaire pour organiser le transfert des "frères" et "soeurs" d'un territoire à l'autre en attendant leur départ définitif pour accomplir leurs "noces en société".

Belgique, France, Italie, Kenya, Tunisie, Irak, Turquie, Thaïlande, Algérie, le rapport lu par le président du tribunal montre comment à partir de Saint-Josse et Schaerbeek, à l'aide de quelques moyens dérisoires, un petit groupe de jeunes éduqués en Belgique et influencés la mouvance fondamentaliste "taqfir" a réussi à créer un recrutement et de financement du terrorisme international. Le président relate aussi un langage codé utilisé par les membres du réseau : "faire ses noces" veut dire "commettre un attentat", "arrivé à la société" signifie "arrivé en terrain ennemi" dans ce noyau islamiste qui promet "la vraie vie" et récompense les intermédiaires de la filière par un pélerinage à la Mècque.

Le mercredi 9 novembre 2005 vers 11h30 (heure locale), Muriel Degauque sera retrouvée morte dans un attentat-suicide à Baquba où elle visait trois convois américains. A 12h28, ayant appris quelques minutes plus tôt d'un informateur sur place, Bilal Soughir téléphone à Pascal Cruypenninck (alias Abdelghani) pour lui annoncer "rien que de bonnes nouvelles". "C'est notre tour maintenant", lui répondra le converti belge résidant à Saint-Josse qui se prépare avec Angélique, épouse religieuse d'origine rwandaise, à "faire comme Myriam et son mari" c'est-à-dire comme Muriel Degauque (alias Myriam) et Issam Goris (alias Abou Abdel Rahmani). Ce dernier sera abattu d'une balle dans la tête 2 jours plus tard (10/11/05) en Irak alors qu'il portait une veste bardée d'explosifs et de mitraillettes. Quelques fuites dans la presse pousseront les enquêteurs à arrêter l'ensemble des membres du réseau le 30/11/05 afin d'éviter les risques de fuite vers l'étranger.

Le plus impressionnant dans ce dossier est à mes yeux l'utilisation des techniques de surveillance à travers les nouvelles technologies de communication (GSM et internet). De MSN Messenger à Meetic en passant par des logiciels de recopiage des écrans, les enquêteurs belges n'ont visiblement rien laissé passer dès l'identification des principaux suspects avec parfois l'aide des entreprises américaines pour le décodage des fichiers cryptés. Enfin, l'enquête montre aussi la vulnérabilité des systèmes d'identification sur papier et la facilité d'accès aux réseaux de falsification des documents à l'échelle internationale (notamment en Thaïlande et en Ukraine). Les prochains jours, la parole sera aux avocats des prévenus qui pourront répondre aux actes d'accusation particulièrement longs.