mardi, février 27, 2007

L'ULB interdit tout débat contradictoire avec Tariq Ramadan

La polémique démarre quand l'UETD (Union des démocrates turcs européens) organise à l'Université Libre de Bruxelles le 15/12/06 un "symposium" controversé intitulé "l'Union européenne en quête d'une identité multiculturelle : l'expérience ottomane" avec comme intervenants : Mehmet Aydin (ministre d'Etat), Gilles Veinstein (Collège de France), Tariq Ramadan et Alain Servantie (Commission européenne).

Quatre associations bruxelloises issues de l’émigration politique en provenance de Turquie protestent par écrit auprès des autorités universitaires contre l'organisation de cet événement en invoquant un "simulacre de symposium" visant en réalité à promouvoir "la propagande de la négation du génocide des Arméniens et Assyriens en présentant l'expérience ottomane comme une identité à imposer à l'Union Européenne en quête d'identité multiculturelle."

Mais, contrairement aux apparences, au sein du rectorat de l'ULB, ce n'est pas cette thématique qui inquiétera les défenseurs du principe du libre-examen mais plutôt la participation d'un des intervenants : Tariq Ramadan.

Le symposium controversé ne sera finalement pas annulé pour "l’unique raison de ne pas provoquer d’incident diplomatique avec la Turquie" étant donné la participation du ministre turc Mehmet Aydin. Dans son communiqué de presse, "l’ULB tient dès lors à faire savoir, et en particulier à toutes les personnes et communautés qui se sentent légitimement choquées par la tenue d’une telle manifestation en ses murs, qu’elle n’admettra plus désormais d’être prise en otage par des opposants —officiels ou masqués— à ce qui demeure ses valeurs : la laïcité politique, condition nécessaire à la pratique du libre examen. Elle estime dans ce contexte qu’il est de son devoir de ne pas confondre tolérance et relativisme culturel. " La personne visée est clairement Tariq Ramadan.

"Suite à ce communiqué fort ambigu, nous avons pris nos précautions en demandant par écrit l'aval du recteur pour notre conférence dans le cadre de la Semaine d'actions contre le racisme où nous comptions inviter Tariq Ramadan mais aussi Philippe Grollet (CAL), Mohsin Mouedden (Radio El Wafa) et Didier de Laveleye (Mrax)", explique un responsable du Cercle des Etudiants Arabo-Européens (CEAE) qui désire garder l'anonymat.

Dans une lettre datée du 19/02/07, Philippe Vincke (recteur de l'Université Libre de Bruxelles) répond au cercle étudiant et s'oppose fermement à la participation de Tariq Ramadan en invoquant l'article 30 de la Déclaration universelle des Droits de l'Homme. D'après l'ULB, Tariq Ramadan accomplirait donc "un acte visant à la destruction des droits et des libertés" qui sont énoncés dans la DUDH.

Plus grave encore, dans une correspondance au ton menaçant, l'ULB demande de "noter que le Vice-Recteur Marc van Damme a interdit l'utilisation ce soir de l'auditoire H.3227 de 18h à 20h, par votre Cercle des Etudiants Arabo-Européens. Vous devez en effet utiliser pour vos réunions de cercle, le local dont vous disposez au 131 av. Buyle à cet effet. Je vous rappelle d'une façon générale, que depuis quelques mois, toute occupation de locaux de l'U.L.B., même ceux mis à disposition par le dispatching, doit faire l'objet d'une demande d'autorisation auprès du Professeur Marc van Damme, Vice-Recteur pour la Vie étudiante et la politique sociale. Je vous rappelle également que ces demandes doivent être introduite minimum 3 semaines à l'avance. "

Une nouvelle disposition qui, dans la forme s'applique à l'ensemble des cercles, mais dans les faits viserait particulièrement les étudiants musulmans. "Nous réservons depuis des années des locaux et la réservation n'était qu'une formalité technique. Aujourd'hui, les autorités de l'ULB veulent contrôler le contenu de nos activités, ce qui est assez surprenant. Le CEAE est un cercle non confessionnel mais il est vrai que nous avons un public cible de confession musulmane", explique un étudiant.

De son côté, "le MRAX prend acte du refus de l'ULB de laisser parler Tariq Ramadan et ne peut que féliciter l'Université dans sa volonté de renforcer ses valeurs légitimes. Mais, il faudrait encore que l'ULB fixe des limites raisonnables, ce qui ne semble pas être le cas avec Tariq Ramadan. On souhaiterait donc plus d'éclaircissements sur les limites que se fixent l'ULB pour permettre l'expression de la diversité et de protéger le droit des personnes. Nous invitons l'ULB à transmettre au gouverment britannique de Tony Blair ses observations et ses preuves à l'égard des actes contraires de M. Ramadan auraient commis dans le cadre de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme étant donné que ce dernier y officie en qualité de conseiller. Ni l'ULB, ni Tariq Ramadan ne peuvent être accusés de racisme et ils nous semblent normal qu'un débat puisse prendre entre des antiracistes pour discuter des moyens de combattre les discriminations dans le cadre de la Semaine d'Actions contre le Racisme", précise Radouane Bouhlal, Président du MRAX.

Dominique Vermeiren, Président du Cercle du Libre Examen à l'ULB, précise à son tour que "les principes du libre examen étaient pleinement réunies dans l'organisation de ce débat contradictoire étant donné la participation des personnalités comme Philippe Grollet ou des représentants du MRAX. Nous ne voulons pas prendre position sur la personne de Tariq Ramadan, ce qui nous intéresse est la santé du débat. Il existe une volonté depuis le début de cette année de faire avancer l'ULB sur le chantier des valeurs et nous ne pouvons que nous en réjouir. Mais dans le cas présent, nous estimons que les garanties d'un débat contradictoire étaient assurées par les différents intervenants. Je me souviens d'ailleurs d'avoir déjà refusé de signer en mai 2006 une lettre de protestation contre la venue de Tariq Ramadan à l'ULB."

Dans une carte blanche adressée au quotidien Le Soir, Salim Haouach et Saïd Benayad (ex-président et ex-trésorier du CEAE) dénoncent l'universalisation d'une seule conception : "Que ce soit autour de la liberté d'expression ou de la laïcité, nous assistons dans le discours des autorités de l'ULB à un glissement de l'esprit de ces valeurs universelles vers une universalisation d'une certaine conception de ces mêmes valeurs. Le malaise que fait naître en nous, et nous l'espérons, en tout ceux qui ont à coeur la défense des libertés fondamentales, ne tient nullement aux valeurs desquelles se réclame l'ULB, mais bien à leur usage partial et idéologiquement orienté."

lundi, février 26, 2007

Namur : Séminaire sur les médias et les minorités ethniques

Vous vous souvenez de la célèbre réplique du film "Le Parrain" ? Celle quand Don Vito Corleone décide de faire au producteur Jack Woltz "une offre qu'il ne pourra pas refuser" ?

Un peu dans le même style, une enseignante namuroise de l'HENAC m'a également fait une offre (mais positive celle-là) que je ne pouvais pas refuser : venir prendre la parole ce lundi (26/02/07) dans une ferme écologique à Wepion pour expliquer mon travail journalistique un peu atypique à ses 16 étudiantes infirmières en fin de cycle. Une audience totalement féminine donc, pas spécialement politisée, curieuse, assertive et proactive.

J'ai brièvement eu l'occasion de me présenter tout en distillant quelques bons conseils dans la consommation critique des médias. Mais le séminaire a atteint son climax quand j'ai adapté la série américaine Prison Break au traitement journalistique d'un événement belgo-belge : "Dans l'exemple que je vous propose d'analyser, vous allez voir comment la presse peut jouer un rôle dans une manipulation politico-judiciaire. Dans le rôle de Lincoln Burrows, on retrouve Mohammed Boulif (ex-Président de l'Exécutif des Musulmans de Belgique). Ce dernier est injustement emprisonné à la prison 'Forest River' pour abus de confiance et détournement d'ordinateurs. Des ordinateurs qui seront finalement retrouvés, après une belle saga médiatique, dans les locaux de l'EMB. Comme dans la série, il s'agit d'un jeu de pouvoir politique et le rôle de la méchante Vice-présidente des Etats-Unis est joué à Bruxelles par la ministre des Cultes Laurette Onkelinx. Je vous renvoie à mon blog pour lire les détails de l'affaire mais si vous consultez les archives, vous pourrez constater que la presse généraliste utilise de gros titres sur l'emprisonnement de Mohammed Burrows et à peine un petit rectificatif sans remise en question quand ce dernier sera finalement libéré. L'exemple démontre assez bien à mes yeux une récente manipulation médiatique."

Aucune des étudiantes ne lit une publication sur base quotidienne mais la plupart ne manquent pas les JT à la télévision. "Je préfère regarder la RTBF car le JT de RTL, c'est comme la DH, c'est trop populaire et anecdotique", estimera l'une des futures infirmières. Une autre "préfère La Libre au Soir car j'ai l'impression que l'information est traitée de manière plus sérieuse". C'est "internet" qui serait, d'après l'enseignante, leur principale source d'information.

J'ai aussi pris note d'une expérience importante vécue par quelques étudiantes de ce groupe. Quatre futures infirmières rentrent à peine d'un stage dans les centres hospitaliers roumains où elles affirment avoir vécues une expérience unique : "Nous sommes parties dans la cadre d'un projet européen appelé Leonardo. C'était une expérience très enrichissante car la vie dans les hôpitaux roumains est vraiment catastrophique. Les conditions d'hygiène et de confort sont dramatiques comparées à la situation en Belgique. Vous devez payer pour qu'une infirmière lave votre malade et les docteurs ne disposent pas des outils technologiques pour établir la plupart des diagnotics. Mais les médecins roumains sont par contre très bien réputés pour la qualité de leur analyse. La population vit aussi dans des conditions économiques très difficiles. On a vu des familles qui se chauffaient avec des déchets en plastique, ce qui est évidemment très mauvais pour la santé. Il n'y a très souvent qu'une seule toilette ou douche par étage et la recherche de nourriture ou d'objets se déroulent parfois sur les montagnes d'immondices publiques."

lundi, février 19, 2007

AJP : Nouveaux membres du Conseil de direction

L'Association Générale des Journalistes Professionnels de Belgique (AGJPB), l'aile flamande (VVJ) et l'aile francophone (AJP), organisaient ce samedi 17/02/07 leurs assemblées générales annuelles. Marc Van de Looverbosch (VRT) succède à Marc Chamut au poste de Président de l'AGJPB.

Comme le note avant moi The Mole, l'observateur critique du cosmos journalistique, "les dix nouveaux élus (sur 19) rajeunissent et "pluriethnisent" l'union professionnelle des journalistes. Outre Mehmet, Belge d'origine turque, le Conseil de direction de l'AJP compte désormais un Libanais, Maroun Labaki (vice-président), et un Espagnol, Ricardo Gutiérrez".

De son côté, le Vice-président de la Fédération européenne des Journalistes, Philippe Leruth estime sur son blog qu' "une belle équipe a été formée sous la présidence de Marc Chamut, qui pourra ainsi poursuivre les dossiers qu'il a ouverts en tant que vice-président d'abord, puis comme président ff ensuite. Routiniers de l'association à divers niveaux (Gabrielle Lefevre, Daniel Conraads, Éric Van Duyse) et conseillers entrés dans le mouvement au cours de la précédente mandature (Christine Scharff, Arnaud Grégoire, Albert Jallet, Jean Blavier, Dominique Nahoé, Pierre-Yves Millet) sont rejoints par des "néophytes" dont la plupart s'étaient engagés au niveau de leur entreprise ou groupe de presse (Pierre Havaux, Christophe Cordier, Eric Lekane), ou dans leur section (Alain Simon). De plus, le plurilinguisme sera de mise dans ce conseil avec Maroun Labaki à la vice-présidence, Roger Pint, qui représentera les journalistes germanophones, Ricardo Guttierrez, ou le remuant Mehmet Koksal, dont l'élection marque la reconnaissance de ses pairs pour le courage avec lequel il assume son devoir d'informer dans un contexte bien difficile."

Je suis naturellement très content de cette élection car certains détracteurs vont avoir du mal à expliquer comment un "pseudo-journaliste" arrive à se hisser au Conseil de direction de l'Association des Journalistes Professionnels. A moins d'évoquer une "prétendue" association de pseudo-journalistes soi-disant professionnels ?

A la VVJ, quatre nouveaux membres entrent également au Conseil de direction : Marc Van Impe (indépendant), William Laenen (VRT), Bert Van Den Brouck (Photo News) et Herwin Heyman (télévisions régionales).

Le nouveau protocole de collaboration entre l'AJP, la VVJ et l'AGJPB a été reporté faute d'accord définitif sur le sujet. La scission comptable, à la demande de l'aile flamande, est confirmée et l'AGJPB se dirige vers une présidence bi-céphable bilingue qui accentuerait à mon avis la tendance séparatiste entre les deux groupes linguistiques du pays. Par contre, l'idée d'une plus grande rotation linguistique de la Présidence n'est peut-être pas si mauvaise. Comme le déclarait de manière ironique Marc Van de Looverbosch : "la dernière gestion bilingue à la tête du pays remonte au gouvernement co-dirigé par Edmond Leburton et Willy Claes".

Molenbeek : un militant socialiste organise une manifestation sur le "génocide perpétré par les Arméniens"

Dans un communiqué de presse, Ferhat Sahin Calisan (PS), conseiller communal suppléant à Molenbeek-Saint-Jean, annonce "une manifestation du Comité Belgique-Azerbaïdjan dans le but de protester contre le génocide perpétré par les Arméniens et les Russes à Hocali en Azerbaïdjan". La manifestation aura lieu le 26/02/2007 à 13h30 devant l'ambassade d'Arménie à 1040 Bruxelles, Rue Montoyer 28. "A partir de cet endroit vers 14h10, nous marcherons vers la Place Schuman devant le siège de la Commission européenne et nous y manifesterons jusqu'à 16h00. Ensuite, au nom du Comité, une lettre sera remise à un responsable du Parlement européen", écrit l'organisateur de l'événement.

Ferhat Sahin Calisan (43 ans), Belge d'origine turco-azérie, est un militant socialiste molenbeekois et conseiller communal suppléant depuis les dernières élections communales (08/10/06), ancien président du "Centre culturel islamique chiite Mohammed Ali", ancien président du Comité des parents turcs de Molenbeek, président de l'association "Avrasya Iletisim" (imprimeur) et membre du Centre européen des Azéris.

Mais l'homme s'est surtout illustré lors de la dernière campagne électorale par sa participation active aux manifestations négationnistes à propos du génocide arménien, ses déclarations trompeuses concernant une pseudo-régularisation express pour les sans-papiers ou encore à propos de son titre de "conseiller communal à Molenbeek nommé par le bourgmestre-sénateur Philippe Moureaux"... avant même le scrutin ! Avec ses 266 voix de préférence, il ne parviendra finalement pas à se faire élire directement au Conseil communal.

La mise en page de l'affiche de cette nouvelle manifestation polémique ressemble étrangement à celle de la conférence du 15/02/07 de l'historien turc Yusuf Halaçoglu invité à développer son "Regard sur le prétendu génocide arménien" sous les applaudissements de mandataires MR, CDH, CD&V et PS.

La conférence a fait l'objet de plusieurs interpellations parlementaires et le "sénateur MR François Roelants exige des sanctions après les déclarations de l'élu communal MR Mustafa Öztürk, dans le cadre de la conférence de Yusuf Halacoglu « sur le prétendu génocide arménien » (Le Soir de jeudi et vendredi). Président du MR, Didier Reynders avait saisi le Conseil d'arbitrage du parti, en juin 2005 : « Je ne peux imaginer que des militants ou des mandataires tiennent des propos ou diffusent des écrits qui soient clairement négationnistes ». Des élus du CDH (Halis Kökten et Mahinur Özdemir) et une échevine PS (Hava Ardiçlik) participaient également à la conférence négationniste. Sans réaction officielle, ni au CDH ni au PS", relate le journaliste Ricardo Gutiérrez dans le quotidien bruxellois.

Reste à voir maintenant si le PS compte tenir longtemps avec sa stratégie de la sourde oreille face aux activités débordantes de son courant nationaliste romantique. En tout cas, l'objectif principal de la manifestation du 26 février prochain permettra sans doute au protégé de Philippe Moureaux d'offrir ses bons services dans ce conflit azéro-arménien à propos de l'enclave azérie du Nagorny-Karabah que l'ex-président de l'OSCE et ministre belge des Affaires étrangères, Karel De Gucht (VLD), avait presque réussi à solutionner.

(photo : Tractothèque)

jeudi, février 15, 2007

Belgique : Une conférence négationniste avec la participation des mandataires PS, CDH, MR et CD&V

La conférence intitulée "Regard sur le prétendu génocide arménien" de l'historien négationniste turc Yusuf Halaçoglu, subsidiée indirectement par les pouvoirs publics belges, a finalement eu lieu ce jeudi (15/02/07) sans incident dans les locaux de la Diyanet (Fédération religieuse islamique turque) au 67 Chaussée de Haecht à Saint-Josse.

L'exposé de l'historien turc aura finalement duré un peu plus de 3 heures pour "prouver sur base de l'analyse historique dans les archives qu'on ne peut pas parler de génocide à propos des événements arméniens". Pour commencer, Yusuf Halaçoglu estime que "ce n'est pas aux historiens de dire si oui ou non il y a bien eu génocide mais aux instances juridiques. Etant donné que je ne suis pas juriste, je ne peux donc que vous donner mon avis d'historien." Et son avis sera sans ambiguïté à l'image du titre de sa conférence : "Regard sur le prétendu génocide arménien".

Le corps de l'exposé du conférencier se base sur la technique de la boîte à outils du négationniste déjà évoquée au Sénat belge par l'historien français Yves Ternon. Par la confrontation des sources contradictoires pour contester leur validité, la minimisation des données chiffrées sur base du manque de consensus, la réfutation des preuves en se focalisant entièrement sur des détails à contresens et par l'évocation des théories de complot contre la nation, un négationniste tente de démontrer que des faits établis n'ont jamais existé.

Ainsi, Yusuf Halaçoglu évoque à Bruxelles, cartographie à l'appui, "le contexte belliqueux de l'époque faisant suite à la Première Guerre mondiale où le pouvoir central faisait face à 4 fronts", "l'analyse du budget national ottoman contrôlé par les pays occidentaux", "le rôle néfaste des missionnaires chrétiens et particulièrement celui du Robert College américain comme étant la première école des missionnaires", "la collaboration des comités arméniens", "le jeu des pouvoirs impérialistes", "le pouvoir cosmopolite du régime non nationaliste (sic) du parti Ittihat ve Terakki", les "Arméniens non décédés de Musa Dag d'après les archives françaises" et le fameux "faux télégramme attribué à Talat Pacha". Un télégramme qui serait faux "parce que le logo de Talat Pacha n'est pas correct, sa signature n'est pas complète, le terme 'suret' n'est pas adéquat et le gouverneur de Bitlis y est mentionné comme le gouverneur d'Alep".

"Oui, il y a bien eu des attaques de brigands kurdes, arabes, circassiens ou turcs contre les Arméniens durant la déportation", concède faussement Yusuf Halaçoglu mais "les 1673 inculpés de ces crimes ont été punis par les tribunaux ottomans. Le fait que des personnes soient condamnées après les événements suffit déjà pour n'importe quel juriste de droit international pour conclure qu'il n'y a pas eu de génocide. Car, si vous planifiez et organisez un génocide, vous n'allez pas ensuite condamner des personnes pour les crimes que le pouvoir aurait organisés." L'historien compare ensuite "le nombre de mort arménien" avec "le nombre de décès par grippe dans d'autres pays à la même époque", il disqualifie les "archives consulaires américaines et anglaises car elles se basent entièrement sur des sources de missionnaires chrétiens" et il attaque évidemment ses détracteurs habituels comme Taner Akçam ou Orhan Pamuk.

Yusuf Halaçoglu répètera aussi la thèse officielle défendue par l'Etat turc dans ce dossier : "nous voulons l'ouverture des archives afin d'examiner ce sujet au sein d'une commission mixte internationale" en expliquant que "les archives ottomanes sont les plus accessibles du monde. Je vous donne ma parole que n'importe qui désirant enquêter sur ces archives aura accès le même jour aux documents" alors que les archives fermées seraient ceux de "Jérusalem, Boston et Erevan". Il évoquera également l'instruction judiciaire à son égard entamée en Suisse : "J'ai donné la même conférence en Suisse et les autorités de ce pays ont entamé une procédure judiciaire à mon égard en prétextant que j'ai tenu un discours raciste ou haineux à l'égard des Arméniens. Avez-vous l'impression que je tiens un discours raciste ? Avez-vous l'impression que je nie quoi que ce soit ? Je précise à chaque fois que je parle des comités arméniens et non des Arméniens en général. En plus, la justice suisse ne m'attaque pas parce que je refuse de reconnaître le prétendu génocide arménien mais sur base d'un prétendu discours raciste. C'est vrai, je ne m'appelle pas Orhan Pamuk, c'est peut-être pour cela que je n'ai pas droit à la défense. On me traite ensuite de négationniste".

Le journaliste ultranationaliste Yusuf Cinal lancera fièrement : "Nous sommes tous des négationnistes, mon professeur". Du fond de la salle, Halis Kökten, conseiller communal (CDH), "remercie le professeur pour sa conférence à Bruxelles et des explications éclairantes qu'il a bien voulu fournir. Ce débat est depuis un certain temps dans l'actualité et je me demande si nous ne sommes pas en retard par rapport à notre travail. En Belgique, le Sénat a adopté en 1998 une résolution reconnaissant le génocide arménien probablement parce qu'il n'y avait aucun élu turc dans cette assemblée, puis la pénalisation de la négation a été heureusement bloquée l'année dernière. Dans la perspective des prochaines élections, je lance un appel aux dirigeants des associations pour leur demander ce qu'ils comptent faire à ce propos".

Mais le moment le plus délirant de la soirée viendra, à mon avis, suite à l'intervention de Mustafa Öztürk conseiller communal (MR) à Schaerbeek et auteur d'un ouvrage négationniste : "Je vous souhaite la bienvenue à Bruxelles Monsieur le professeur et j'espère que vous n'êtes pas trop fatigué. Je confirme ce que vous avez déclaré au sujet de l'accessibilité des archives ottomanes car je les ai moi-même consultées. J'ai également lu la définition du génocide et sur base du texte juridique, je pense effectivement qu'il est non seulement faux de parler d'un génocide à propos des Turcs mais qu'en plus, après l'étude des documents, on peut vraiment parler d'un génocide perpétré par les Arméniens sur les populations turques." La presque totalité de la salle applaudit. Un deuxième intervenant embraye sur la même idée de "génocide perpétré par les Arméniens sur les Turcs" et la moitié de la salle applaudit une nouvelle fois. Yusuf Halaçoglu intervient cependant pour les contredire : "le terme de génocide est créé en 1948 et il ne peut donc s'appliquer rétroactivement. Vous ne pouvez donc parler de génocide mais bien de massacres", ajoute le professeur en oubliant que le génocide juif a été perpétré par le régime national-socialiste allemand pendant la Seconde Guerre mondiale soit avant 1948.

Entre 120 et 150 personnes ont assisté à cette conférence sur la démonstration de la négation du génocide arménien. Malgré les interpellations critiques de la plupart des dirigeants politiques et associatifs, il convient de noter la présence remarquée des conseillers communaux schaerbeekois Halis Kökten (CDH), Mahinur Özdemir (CDH), Mustafa Öztürk (MR), des candidats Ferhat Sahin Calisan (PS - Molenbeek) et Cevdet Yildiz (CDH-Saint-Josse) ainsi que de l'échevine socialiste de Saint-Josse Hava Ardiçlik qui remplace à ce poste l'échevin empêché et secrétaire d'Etat régional Emir Kir (PS), un négationniste reconnu pourtant par une décision judiciaire bruxelloise.

Le présentateur et co-organisateur de l'événement Hüseyin Dönmez (CD&V, ex-Agalev, gestionnaire du site internet Gündem) a également pris la peine de présenter l'ex-candidate FDF Derya Bulduk en sa qualité de "victime en Belgique du prétendu génocide arménien". Derya Bulduk fera office durant la soirée d'interprète bénévole en langue française pour le Président de la Société turque d'Histoire Yusuf Halaçoglu. A noter également la présence de l'ambassadeur de Turquie Fuat Tanlay ainsi que des représentants des associations organisatrices : EYAD (Association d'entraide d'Emirdag), BTSF (Fédération belge du sport turc), MADD (Association de la Pensée d'Atatürk à Mons), Belturk (asbl Yeni Belturk), BTIDV (Fondation religieuse islamique turque de Belgique) et TTK (Société turque d'Histoire).

Malgré les risques évidents, j'ai préféré assister en tant que journaliste indépendant à cette conférence afin de pouvoir relater les faits à partir d'une source primaire. "Ils vont te casser la tête ! Ils vont te casser la tête !", m'a répété une personne n'appréciant visiblement pas mon traitement journalistique. Plusieurs dirigeants m'ont également "sérieusement" mis en garde contre "mes préjugés" et "mes provocations" en me qualifiant de "soysuz" (personne sans origine). Je prends bonne note de ces avertissements. Mais je trouve curieux le raisonnement : C'est eux qui organisent une conférence intitulée "Regard sur le prétendu génocide arménien" et c'est moi qu'on accuse de provocation. Ce sont ensuite les mêmes qui invoquent la liberté d'expression tout en voulant m'empêcher d'exprimer mes propres opinions sur le sujet. Peut-on également invoquer la même liberté d'expression en Turquie étant donné que la reconnaissance du même génocide est actuellement pénalement poursuivie ?

A titre personnel, je trouve inutile, contre-productive et provocante l'organisation de cette quatrième conférence négationniste en l'espace d'une année par l'Association de la Pensée d'Atatürk en Belgique (BADD). S'il existe un seul problème qui devrait mobiliser la totalité des énergies au sein de la communauté turque, c'est bien le problème de l'intégration linguistique... à commencer par le conseil d'administration du BADD qui compte trop de Belges ne sachant s'exprimer dans une des langues du pays.

mardi, février 13, 2007

La Belgique est coupable d'une collaboration indigne d'une démocratie

Le Centre d'Etudes et de Documentation Guerre et Sociétés contemporaines (CEGES) vient de remettre son rapport final intitulé "La Belgique docile" au sujet de la collaboration des "autorités belges et de la persécution des Juifs en Belgique pendant la Seconde Guerre mondiale". Un long travail (2 ans et demi de recherche) qui actualise le travail exhaustif et remarquable de l'historien de référence en la matière Maxime Steinberg (voir notamment : L'Etoile et le fusil et La Persécution des Juifs en Belgique) que d'aucuns peinent parfois à citer.

L'originalité de ce nouveau rapport dirigé par Rudi Van Doorslaer, pour le compte du gouvernement belge et à la demande du Sénat, est qu'il replonge sur des sources primaires pour analyser les responsabilités dans l'histoire collaborationniste du pays.

J'avoue que je m'attendais à l'usage de l'euphémisme habituel pour excuser la politique antisémite, sécuritaire et collaborationniste de l'élite belge dans la persécution et la déportation des Juifs belges et étrangers du pays pendant la Deuxième Guerre mondiale. Mais les conclusions du rapport vont à l'encontre des mes idées reçues et ne souffrent d'aucun doute à ce sujet : "La responsabilité du judéocide repose en première instance sur les figures de proue du régime national-socialiste allemand et sur ceux qui, en Belgique, ont choisi de collaborer avec ce régime. (...) Les près de 1.114 pages sur lesquelles s'appuie cette conclusion finale permettent de désigner avec le poids nécessaire les mécanismes et les éléments politico-idéologiques qui expliquent les raisons pour lesquelles l'autorité belge a collaboré elle aussi à la politique raciale antijuive durant l'occupation. (...) L'Etat belge a ainsi adopté une attitude docile en accordant dans des domaines très divers mais cruciaux une collaboration indigne d'une démocratie à une politique désastreuse pour la population juive (belge comme étrangère)"

Peu de sénateurs étaient présents ce matin pour la remise du rapport final et le Premier ministre s'est fait excuser. J'ai reconnu Anne-Marie Lizin (PS), Alain Destexhe (MR) et Hugo Vandenberghe (CD&V), Jean-Marie Happart (PS) en plus de l'ex-sénateur Roger Lallemand (PS) et quelques personnalités membres de la communauté juive comme Julien Klener (Président du Consistoire centrale israélite de Belgique), Pinkhas Kornfeld (Yeshiva de Wilrijk), Philippe Markiewicz (CCOJB) ou la belle-soeur de Marcel Liebman. Cette dernière a même interpellé Rudi Van Doorslaer sur la récente négation des responsabilités anversoises et la censure de certaines pages d'un livre de Marcel Liebman à propos de l'ancien bourgmestre d'Anvers.

Tenu à l'écart de ces travaux, l'APR (L’Association Pour la Restitution individuelle, intégrale et rapide des biens volés aux Juifs) n'a pas manqué de réagir rapidement par communiqué dès la publication du rapport en demandant "une déclaration solennelle du premier ministre reconnaissant la vérité, ainsi que la constitution par l’Etat d’un budget en guise de dédommagement de sa responsabilité dans la déportation des Juifs de Belgique."

dimanche, février 11, 2007

Viviane Teitelbaum : "Je n'accepte pas que le sionisme soit assimilé au fascisme"

Après avoir annoncé que la députée bruxelloise Viviane Teitelbaum (MR) avait porté plainte contre Rachid Zegzaoui en laissant la réplique à l'accusé, j'ai pris contact ce dimanche (11/02/2007) avec la députée libérale afin de lui demander de réagir à ce propos.

"Contrairement à ce qui est dit dans votre article, je n’ai pas déposé plainte auprès du Procureur du Roi de Bruxelles, contre M. Zegzaoui. Mais j’ai bien informé le Procureur du Roi, dans une lettre datée du 7 novembre 2006 des propos agressifs, menaçants et insultants exprimés à mon égard par M. Zegzaoui lors d’une conférence-débat à laquelle je participais le 2 novembre 2006, organisé par le MOC-ACW, avec le soutien Axcent vzw et la plate-forme Bruxelles-Espérance, et dont le thème était : Les hommes et femmes politiques et leur conviction de vie. Quelles sont leurs motivations ?", me précise Viviane Teitelbaum dans sa réponse écrite.

"Au contraire, lors de l’audition par la Police, le 22 janvier 2007, j’ai expressément déclaré que je ne demandais pas de poursuites pénales à l’encontre de M. Zegzaoui, ce qui est acté dans le PV. Concernant les propos de M. Zegzaoui, je tiens à confirmer que je ne considère nullement comme injurieux d’être qualifiée de sioniste. Ce que je considère comme injurieux, c’est d’avoir été traitée personnellement de fasciste. Ce que je n’accepte pas c’est que le sionisme soit assimilé au fascisme, ce que M. Zegzaoui a fait à plusieurs reprises, tant lors de la conférence-débat du 2 novembre (à l’origine de ma lettre) que de nouveau, lors d’une conférence-débat organisée le 8 novembre par le Mouvement Citoyen Palestine. Et enfin, je voudrais dire que ma démarche auprès du Procureur du Roi de Bruxelles a été motivée par les propos agressifs et menaçants de M. Zegzaoui qui a hurlé à mon attention lors de la conférence débat du 2 novembre que j’étais « l’ennemi, notre ennemi ». La gravité de ces propos ne vous échappera pas. Comme ils n’ont pas échappé à l’auditoire présent, choqué également. Le modérateur étant intervenu alors pour couper la parole à M. Zegzaoui. Je pense qu’il était important de faire ces précisions, car encore une fois, M Zegzaoui n’a pas pris la peine d’écouter et de lire attentivement mes propos avant de m’accuser", conclut-elle.

(photo : MR)

samedi, février 10, 2007

Bruxelles : Viviane Teitelbaum (MR) porte plainte contre Z

La députée bruxelloise Viviane Teitelbaum-Hirsch (MR) a déposé une plainte auprès du procureur du Roi de Bruxelles contre Rachid Zegzaoui (PJM, ex-Ecolo, ex-PCP) alias "Rachid Z". L'animateur du blog "Observations Citoyennes" est accusé par la parlementaire membre de la communauté juive d'avoir été verbalement menaçant, d'avoir eu une attitude agressive et de l'avoir insultée de sioniste lors d'une conférence débat publique organisée par le Mouvement Citoyen Palestine le 08/11/2006 sur le thème : "Quel rôle peut jouer la Belgique pour une paix juste et durable en Palestine ?".

"Il est exact que j'ai fait savoir à l'assemblée présente que madame Teitelbaum était une sioniste et que le sionisme était une idéologie à relent fasciste. Par contre, je n'ai jamais dit à cette dame qu'elle était une ennemie. (...) Si elle a pris mes paroles pour des hurlements de haine, c'est son problème. (...) Pour ce qui est du sionisme, je m'étonne que madame Teitelbaum prenne cela comme une insulte car elle a rendu visite à plusieurs reprises à Ariel Sharon qui était le chef du gouvernement israélien dont le pays est un Etat sioniste. (...) Je n'ai nullement l'intention d'attenter à l'intégrité physique de Madame Teitelbaum. J'essaie simplement de susciter le débat citoyen. Tout ce que je dis se fait dans la légalité. Je ne suis pas antisémite, ni raciste, ni violent", réplique Rachid Zegzaoui. "Je me rappelle avoir publié un ou deux articles à propos de cette conférence sur la Palestine mais je n'y ai insulté personne. J'ai effectivement qualifié madame Teitelbaum de sioniste et je suis prêt à m'excuser si elle s'est convertie depuis à l'antisionisme. Madame Teitelbaum me connaît bien car j'avais déjà dénoncé sa hiérarchisation des différentes formes de racisme et son instrumentalisation de la députée Souad Razzouk (ex-FDF) dans la cadre d'une résolution sur l'antisémitisme et l'islamophobie votée au Parlement bruxellois."

vendredi, février 09, 2007

Saint-Josse : Une conférence négationniste subventionnée par l'ORBEM

Vous vous souvenez de la Plateforme turque ? Cette plateforme initiée et contrôlée par l'Association de la Pensée d'Atatürk en Belgique (BADD) qui a déjà organisé deux manifestations négationnistes à propos du génocide arménien dont l'une avec le soutien actif et la participation de la plupart des politiciens bruxellois d'origine turque. C'est grâce aux subventions publiques (3 postes d'ACS à temps plein) de l'Office régional bruxellois de l'emploi (ORBEM), dirigé par le socialiste schaerbeekois Eddy Courthéoux, que le BADD organise et finance sa propagande négationniste à Schaerbeek et Saint-Josse. La tutelle sur l'Orbem est exercée par le ministre bruxellois de l'Emploi Benoît Cerexhe (CDH) et il serait logique que des parlementaires interpellent le ministre pour voir si l'Exécutif bruxellois compte encore encourager l'organisation d'autres conférences à caractère négationniste avec l'argent du contribuable bruxellois.

Malgré la tempête médiatique suite aux positions négationnistes d'Emir Kir (PS) et la confrontation des doubles discours à propos du génocide arménien, le Plateforme turque s'acharne donc pour revenir sur la polémique en invitant cette fois le professeur Yusuf Halaçoglu, président de la Société turque d'Histoire (Türk Tarih Kurumu) et porte-parole de la version officielle de l'histoire défendue par les gouvernements turcs.

L'historien turc est invité à discourir sur le "Sözde Ermeni Soykirimi'na Bakis" (Regard sur le prétendu génocide arménien) le 15/02/2007 dans les locaux de la Diyanet (Fondation religieuse islamique turque) au 67 Chaussée de Haecht à 1210 Saint-Josse. Cette fondation religieuse constituée sous forme d'association internationale sans but lucratif est en réalité contrôlée par la Direction des Affaires religieuses de l'Etat turc. D'après mes recherches, c''est aussi la branche belge de la Diyanet qui est à la source d'une lettre-type rédigée en novembre 2006 et incitant les Turcs de Belgique à se plaindre auprès des sénateurs belges François Roelandts du Vivier (FDF), Christine Defraigne (MR) et Isabelle Durant (Ecolo) en invoquant le "prétendu génocide arménien".

Le 15 février prochain, le "professeur-docteur" Yusuf Halaçoglu aura donc 3 heures pour étaler sa propagande négationniste comme il le fait d'ailleurs régulièrement sur la chaîne publique (TRT-INT) à l'attention des citoyens turcs expatriés. Suite à une conférence similaire organisée le 02/05/2004 en Suisse, le procureur suisse Andrej Gnehm n'avait pas hésité à entamer immédiatement une instruction judiciaire à l'encontre de l'historien sur base de l'article 261bis du code pénal suisse relatif à la discrimination raciale. Depuis, Yusuf Halaçoglu n'ose plus mettre les pieds sur le territoire helvétique par crainte d'arrestation.

Les associations qui soutiennent l'organisation de la conférence à Bruxelles sont : EYAD (Association d'entraide d'Emirdag), BTSF (Fédération belge du sport turc), MADD (Association de la Pensée d'Atatürk à Mons), Belturk (asbl Yeni Belturk), BTIDV (Fondation religieuse islamique turque de Belgique), TTK (Société turque d'Histoire).

jeudi, février 08, 2007

Livre : Gjovalin Kola s'interroge sur la communauté albanaise en Belgique

C'est purement par hasard lors d'un festival de cinema organisé par le CBAI que je suis tombé sur ce petit livre très personnel du journaliste albanais Gjovalin Kola au titre bizarrement interrogatif : "Pourquoi la Belgique dans l'histoire albanaise?"(Editions Grafimmo). L'ouvrage tente de retracer brièvement le parcours des migrants albanais en Belgique par coup de petites anecdotes assez intéressantes. Ce livre (119 pages) foncièrement anticommuniste ou pro-royaliste est préfacé par l'ex-sénatrice socialiste Marie-José Laloy (actuelle gouverneur de la province du Brabant wallon) dont l'ex-attaché parlementaire Safet Kryemadhi est d'origine albanaise. Ce qui explique sans doute la préface. Ce n'est pas vraiment un ouvrage scientifique ou une recherche exhaustive mais la subjectivité de la plume laisse échapper quelques bons extraits bruxellois qu'on aurait tort d'ignorer.

L'auteur, ex-journaliste du quotidien albanais Shekulli, explique par exemple que c'est "à Bruxelles aussi que le futur dictateur Enver Hoxha a passé trois années, de 1934 à 1936, dans la fonction plutôt inattendue de diplomate. Après avoir échoué à l'Université de Montpellier et découverte le marxisme à la lecture de l'Humanité, son séjour belge fait écho à l'exil cent ans plus tôt de celui qu'il revendiquera désormais comme maître spirituel, Karl Marx. Même si Enver Hoxha s'empressera plus tard de réécrire ces trois années au service consulaire du royaume de Zog à Bruxelles, si peu en accord avec la biographie d'un chef communiste, nul n'ignorait son passé "belge" et la vie de dandy qu'il y mena. (...) Il fit la connaissance d'un certain George Marothi, qui inaugura le Consulat d'Albanie à Bruxelles, auquel il servira de secrétaire [d'après Kole Gjeloshaj]. On dit qu'il poursuivit également des études de droit qu'il ne put achever. Un écrit récent [de Shehu Bashkim] dit que Hoxha travailla comme concierge à la représentation diplomatique albanaise en Belgique et non comme son secrétaire. "

Gjovalin Kola retrace aussi la trajectoire de l'intellectuel Faik Konitza, opposant au régime ottoman, arrivé à Bruxelles à la fin de l'année 1896, il "s'installe à la rue d'Albanie et commence à travailler pour la publication de sa revue. Il la nomme Albania dont l'emblème dessiné part le sculpteur français Paul Noquet est l'aigle, symbole de la nation albanaise." Suite aux pressions diplomatiques et judiciaires ottomanes, Faik Konitza s'exile à Londres puis à Boston pour diriger sa revue. "Mais l'histoire de la revue Albania continue encore dans la rue d'Albanie à Bruxelles. En 1972, un autre Albanais vient s'installer en Belgique, cette fois-ci non pas d'Albanie mais de Kosovo. Cet homme s'appelle Enver Hadri. Son arrivée fait revivre le prestige de cette rue saint-gilloise, qui symbolise si fort l'identité nationale des Albanais. (...) Une fois installé en Belgique, il achète la maison où Konitza avait publié sa revue Albania et continue son activité pour soutenir la cause nationale des Albanais du Kosovo. Il publie les revues bilingues Résistance Nationale des Albanais du Kosovo, La voix du Kosovo, organisant de nombreuses manifestations d'émigrés albanais en Occident.(...) Son principal mérite fut, qu'à son initiative, le Parlement européen approuva la première résolution concernant le Kosovo en 1989 qui condamnait fermement la violation faite par les autorités et la police serbes aux Albanais. (...) Enver Hadri est tué le 25 février 1990, vers 16h30, à l'angle des rues St Bernard et de la Victoire à St Gilles, par un commando de trois hommes. (...) Il a été enterré au cimetière des Albanais de Charleroi, à Farciennes, le samedi 3 mars 1990."

En parlant de décès, "au cimetière de Haine-Saint-Paul, près de La Louvière, a été enterré en 1977 un général albanais, Prenk Pervizi, dont la famille et les proches en Albanie ont tous été emprisonnés et déportés." (...) Son petit fils écrivain-poète Lek Pervizi s'installe à son tour en Belgique en 1990. "En 1993, il a fondé la revue Kuq e Zi (Rouge et Noir, les deux couleurs du drapeau national), la première publication périodique albanaise en Belgique depuis l'arrêt d'Albania de Konitza en 1909. En 2004, il est élu président de l'Association culturelle Euro Belge Albanaise 'Mère Thérèsa' (ACEBA)."

"La communauté albanaise en Belgique dont le nombre est estimé aujourd'hui entre 50 et 60 mille personnes, est méconnue. En partie sûrement parce qu'elle vit repliée sur elle-même; parce que ses membres se marient entre eux." "Les arrivants débarquent principalement dans les communes bruxelloises de Schaerbeek et d'Anderlecht. C'est la raison pour laquelle en 1968, dans la commune de Schaerbeek, au square Prévost Delaunay en lisière du Parc Josaphat, une statue en l'honneur de Skanderbeg est installée sur le piédestal."

Evoquant en fin de récit la criminalité albanophone, Gjovalin Kola relève au passage qu'en "Albanie, la Belgique dont le nom Belgjik, est entré avant la Seconde Guerre mondiale dans les chansons populaires et même dans le dictionnaire albanais pour nommer son fusil fameux de la Fabrique nationale d'armes à Liège, est maintenant le pays où l'on met les femmes en vitrine. Le quartier chaud bruxellois près de la gare du Nord est connu jusque dans les Balkans".

lundi, février 05, 2007

Livre : Mazyar Khoojinian décortique la communauté turque en Belgique

Le titre du mémoire de fin d'études (ULB) de l'historien belge Mazyar Khoojinian peut paraître assez repoussant "La stabilisation et l'organisation des travailleurs turcs et de leurs familles en Belgique (1963-1980)", sa longue enquête sur la communauté turque de Belgique reste pourtant d'une richesse et d'une précision imbattable. Après avoir compulsé notamment les archives de la Fédération charbonnière de Belgique (Fédéchar), le Moniteur belge, la propagande diplomatique et associative à l'attention des travailleurs turcs, les archives et les correspondances de nombreuses publications turcophones en Belgique, l'auteur arrive à retracer l'historique et le réseau associatif de l'ensemble des composantes politiques de la communauté turque en Belgique. A travers l'analyse des conditions de travail des premiers immigrés turcs en Belgique, on découvre ainsi une mine d'informations inédites comme la liste des associations turques créées en Belgique jusqu'en 1981, les associations bénéficiant du soutien de l'Ambassade et des Consultats de Turquie, les associations bénéficiant du soutien des syndicats belges, les associations d'extrême-droite turque en Belgique, les autres associations à caractère politique.

Dans le n°17 des Cahiers d'Histoire du Temps Présent prenant appui sur son mémoire, Mazyar Khoojinian explique des arrangements insolites comme "la dispense religieuse pour les mineurs en ce qui concerne le jeûne rituel" accordée par la Diyanet par circulaire photocopiée et affichée dans les cantines; un message de Bülent Ecevit (ex-Premier ministre turc) publié dans le premier numéro de la première publication turcophone en Belgique baptisée Türk Iscileri Bülteni (Bulletin des travailleurs turcs), un mensuel édité par le ministère belge de l'Emploi et du Travail, l'Ambassade de Turquie et la Fédération charbonnière de Belgique paraissant à partir du mois d'août 1964 ("Une bonne nouvelle est annoncée aux lecteurs du Türk Iscileri Bülteni en juillet-août 1965 : la participation de l'Etat belge dans les frais de voyage des familles qui ont accompagné ou rejoint l'ouvrier migrant occupé en Belgique. L'arrêté royal du 20 mai 1965 prévoit le remboursement de la moitié des frais de voyage de l'épouse et des enfants (avec au minimum trois enfants) accompagnant ou rejoignant un travailleur étranger occupé en Belgique. (...)"); les prises de tête concurrentes des différents groupes politiques de gauche turque en Belgique et l'implication involontaire de l'avocat socialiste Jacques Bourgaux; le paradoxe de l'ingérence religieuse d'Ankara ("Paradoxalement pour un Etat qui fait de la laïcité son originalité dans le monde musulman, le contrôle opéré par les autorités turques se fera de plus en plus par l'intervention dans le domaine religieux, en reliant les mosquées, contrôlées par les ambassades, au Secrétariat d'Etat des Affaires religieuses") ou encore la fondation le 08/04/1978 d'une association d'extrême droite turque (Loups gris) au cinéma Rex à Schaerbeek dont l'un des ex-dirigeants vient d'être élu sur la liste PS; la collaboration des Loups gris avec le Vlaamse militanten orde (VMO).

Pour terminer, ce jeune historien (24 ans) revient dans son imposant travail de fin d'études (154 pages, 698 notes en bas de page et une centaine d'annexes) sur le travail social des personnages clés de l'immigration turque comme notamment Muharrem "Ekrem" Bilgin (Premier permanent national turc de la CSC), Muharrem Karaman (successeur de Bilgin à la CSC), Hüseyin Celik (FTGB et UTTB) ou Dogan Özgüden (ex-mensuel Emek et agence Info-Türk).